CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Le soleil était haut dans le ciel quand Hiruma Yojiro fit mettre une barque à la mer pour rejoindre la petite ville du clan du Phénix. Il était déjà venu chez ce clan plusieurs années auparavant, mais se sentait toujours autant à l'étranger parmi ces sages isolés dans leurs terres nordiques. L'air, le ciel, les chemins, tout était étrange dans ce pays pour un Crabe venu des grandes plaines du Sud.
La Cité de la Forêt des Ombres remuait à peine, en ce milieu de journée. Quelques pécheurs à la ligne, des marchands qui rangeaient leurs échoppes sur le port. Sur la plage, une dispute éclatait, vite calmée par deux yorikis.
Au sommet du palais, l'étendard rouge de la famille Shiba claquait dans les bourrasques venues du grand océan.
Un soldat, porteur d'un sceau officiel, se présentait à la porte du palais et demandait à rencontrer le gouverneur. On le conduisit devant le gouverneur de la Cité.
- Entre, soldat.
Le bushi se jeta à genoux :
- Gouverneur Shiba Otondo, j'apporte les nouvelles que vous attendiez !
- Parle.
- J'ai mené la mission de reconnaissance que vous m'avez confiée. Je suis parti avec quatre yorikis vers la Forêt et là, nous avons recueilli le témoignage de nombreux paysans, qui ont vu passer des troupes à poney. Des créatures hirsutes, velues, terrifiantes, selon leurs dires. Les montures qu'ils chevauchent ont été volées à un relai de poste sur la voie impériale, voici trois jours.
- Par Shiba, ils ont osé approcher la voie impériale ?
- Oui et maintenant, ils parcourent l'arrière-pays.
- Il faut agir et vite, dans ce cas, proclama le Gouverneur, devant les quelques notables présents.
- Il semble urgent, dit un conseiller, de prévenir les villes avoisinantes. En particulier la Cité de l'Or Bleu, qui est particulièrement exposée à ces attaques.
- C'est juste. Qu'on envoie des émissaires sur le champ !
Une heure plus tard, les ordres de missions étaient signés et on les remettait à cinq cavaliers, qui allaient passer les prochaines heures chaudes sur leurs montures.
- Toi, tu te rendras à la Cité de l'Or Bleu. Tu préviendras le Gouverneur Shiba Kantaro.
- A vos ordres !
Le cavalier partit vers le sud, galopant sur la voie pavée. En fin de journée, il aperçut sa destination, un petit village de pécheurs sur la falaise, qui brillait sous le soleil. Le soldat descendit de cheval et se fit conduire au palais du gouverneur, où il remit sa missive.
- Des nouvelles très inquiétantes, dit le gouverneur Shiba Kantaro. Soldat, tu remercieras trois fois mon ami le gouverneur Otondo de m'avoir prévenu. Qu'on aille chercher le chef de la garde immédiatement !
Il faisait plus frais dans le corps de garde que dehors, où une patrouille effectuait des manoeuvres au soleil. La grosse chaleur n'était pas encore tombée, et il faisait meilleur boire un verre à l'ombre. Un gunso jouait distraitement au go avec un nikutai, plus ennuyé qu'intéressé par ce jeu. Depuis son gempukku, le gunso n'avait pas tellement quitté la Cité de l'Or Bleu, où il ne s'était jamais rien passé depuis la Chute des Kami.
Un émissaire du palais se présenta à ce moment et le gunso sortit de sa torpeur pour l'écouter.
- Shiba Mitsurugi ! Le gouverneur te fait demander sur le champ.
- Par Shiba, baîlla le sous-officier, j'arrive.
Il se leva et se passer de l'eau sur le visage, puis remit sa tenue correctement et suivit l'émissaire. Quand il entra dans le palais, il se sentait d'attaque, prêt à obéir sans hésitation.
- Tu vas prendre avec toi cinq hommes, lui dit le gouverneur, et partir en reconnaissance alentours !
- Haï !
- De misérables barbares osent souiller nos terres ancestrales ! Il faut les chasser !
- Haï ! Nous tuerons ces brutes !
- Ce sont des animaux, qui n'ont rien d'humain. Ils doivent être châtiés.
- Haï ! Nous n'en laisserons pas échapper un seul !
Content de pouvoir se dérouiller les muscles, Shiba Mitsurugi retourna à la caserne et ordonna à ses hommes de se préparer. C'est vrai que le soir tombait, mais ils auraient le temps d'atteindre le village voisin. On sentait que les hommes désignés étaient contents de venir. On allait enfin échapper à la routine des manoeuvres et sortir de cette hibernation qui semblait se prolonger à la Cité de l'Or Bleu, d'un bout à l'autre de l'année !
Le groupe de Phénix marchait depuis des jours et des jours, dans une région de plus en plus désolée. Il n'y avait que le soleil dans l'immense ciel bleu, et une étendue de pierre, où le vent murmurait, immense.
Un bloc s'effondrait au loin, de la neige dégringolait et on entendait des arbres craquer. Les samuraï avaient encore de la neige sur les épaules et une épaisse barbe sur le visage. En tête de leur groupe, un gunso, et à ses côtés, un de ces étranges hommes tatoués du clan du Dragon, qu'on appelle les Ize-Zumi. Ce dernier marchait presque nu, alors que les Phénix grelottaient sous le plein soleil ; il avançait, droit et constant, alors que les bushi peinaient, maudissaient ces milliers de cailloux et ce vent qui les mordait en permanence.
Ils n'avaient qu'une envie, c'était de demander sans arrêt quand ils arriveraient.
Après avoir franchi un énième col, après avoir grimpé un étroit chemin et passé un ruisseau glacial, on aperçut, perché encore plus haut, comme l'aire d'un aigle, un temple en bois, presque dénué de décoration.
- Oh, misère, gémirent les hommes.
Ils n'y croyaient pas !
- C'est ton temple qu'on voit là-haut ? demanda le gunso.
- Oui, répondit l'Ize-Zumi.
- Qu'on nous donne des ailes pour l'atteindre, dit un des soldats, sinon nous n'y arriverons pas !
L'homme tatoué continua son chemin, imperturbable.
- Attends, demanda le gunso, pause !
- Nous y sommes presque.
- Mes hommes sont fatigués, Togashi-san. Tu dois les comprendre.
- Bien.
L'Ize-Zumi s'assit, impassible. Il n'avait rien bu depuis une journée, et rien mangé depuis presque cinq jours. Pendant que les Phénix remplissaient avec avidité leur gourde au ruisseau et que leur estomac réclamait un bon poisson grillé de leur Cité natale !
On reprit la marche peu après, et il fallut traverser un grand pierrier pentu. L'Ize-Zumi sautait d'un rocher à l'autre, comme s'il connaissait par coeur la disposition de chacun d'entre eux. Pendant que les Phénix regardaient avant chaque pas où ils allaient poser le pied.
Enfin, on arriva devant le vieux temple en bois. Un grand campanule était gravé sur la porte. L'homme tatoué frappa à la porte trois coups qui résonnèrent longtemps dans l'espace.
A suivre...