Bon, le tout est de ne pas trop s'avancer dans la théorie et d'en rester aux faits admis dans Rokugan... :?
Allez, pour le plaisir : la suite de mon histoire
Les multiples vies du lion sans crinière. (3/X)
La voix semblait venir de tous les cotés à la fois, les paroles étaient incohérentes, chaque phrase dépourvue de sens. Comme si des fragments de pensée ou de souvenir s’entremêlaient, se chevauchaient en phrases au ton tantôt suppliant, tantôt rieur, tantôt menaçant. Il sentait quelque chose bouger, là dans la brume. Etait-ce une illusion ? Il n’y avait pas le plus petit souffle d’air et pourtant la brume semblait se déplacer. Il ne devait pas regarder ; il le savait, il ne devait pas écouter. Pas sans les précautions rituelles. Le banc, le masque, il ne fallait se concentrer que sur ça. Norikage se mit en marche lentement vers l’endroit où il s’était assis la veille. Il se déplaçait sans bruit, en essayant de déranger le moins possible la brume dont le contact lui donnait maintenant la chair de poule. Faisait-il si froid ? Il avait l’impression que le sol humide lui glaçait les pieds. La chose était là, elle le suivait maintenant en silence, juste derrière son épaule. Ne pas se retourner, il ne fallait surtout pas se retourner. Norikage continuait d’avancer lentement en s’appuyant sur son bâton. Cela lui semblait interminable. Il avait l’impression de traverser le pont au dessus de l’infini que les âmes empruntent après leur mort. La chose n’avait pas l’air d’être vraiment hostile pour l’instant, mais cela ne voulait rien dire. Il atteint enfin le banc et poussa un soupir de soulagement. Il pris posément son masque en maudissant l’age qui lui avait ainsi fait perdre la tête et oublier son bien le plus précieux sur un banc du jardin. Soudain il s’arrêta interdit. La présence s’était éloignée et il lui semblait maintenant entendre une deuxième voix qui discutait avec la première. Le spectre s’était-il trouvé une autre victime ?
« Masato ! »
Norikage, essayait de courir tant qu’il pouvait mais ses jambes le trahissaient. Il criait tant que son souffle le permettait, même s’il savait qu’il était déjà trop tard.
« Non, Masato san, ne lui parlez pas ! Ce n’est pas un enfant c’est un Yorei ! C’est un Yorei ! Sauvez vous ! »
Ikoma Masato tourna la tête, surpris, vit son ancien maître courir vers lui son masque sur le visage. Il tourna à nouveau la tête vers la petite fille qui lui parlait et s’aperçu qu’elle ne touchait plus le sol. Lentement, le bas de son kimono devenait de plus en plus transparent, se confondant avec la brume. Terrifié, Masato était incapable de bouger. Il restait bouche ourverte, les yeux écarquillés à regarder cette forme en train de changer. Les traits de l’apparition se transformaient rapidement. Le visage auparavant joli et amical devenait de plus en plus laid et menaçant. Les yeux s’enfonçaient dans leurs orbites, les traits se creusaient et sa bouche s’ouvrait démesurément. La forme chantait une très vielle chanson, une berceuse, avec sa mâchoire décrochée et immobile.
« Courez Masato san ! Courez ! » Continuait de crier Norikage.
Pris de panique, Masato parti en courant et en hurlant, mais la forme volait à sa poursuite et continuait à chanter sa berceuse d’une voix d’outre-tombe… Masato trébucha sur une pierre du jardin et tomba de tout son long tandis que l’apparition se jetait sur lui. In extremis, Norikage s’interposa entre eux en prononçant des paroles d’apaisement rituelles. L’apparition s’immobilisa à un mètre au dessus du sol et regarda le vieux soden-senzo dans les yeux pendant un instant puis se dissout dans les rayons de soleil qui dissipaient enfin la brume. Norikage enleva délicatement son masque, et se pencha sur le corps inanimé de l’historien. Il s’était assommé contre une pierre en tombant, mais la blessure n’avait pas l’air grave. Calmant les serviteurs affolés, Norikage fit emmener Masato à sa chambre avec une bonne tasse de sake et un bol de riz. L’historien ouvrit enfin les yeux, paniqué, puis, réalisant où il était et voyant le Kitsu sans son masque il poussa un soupir de soulagement et se calma. Il porta la main à sa blessure au front et regarda le vieux soden-senzo à genoux à coté de lui.
« Ce n’était pas un rêve n’est-ce pas ?
- Non, tout cela s’est réellement produit.
- Comment… que c’est-il passé ensuite ?
- Rien. Je me suis interposé entre vous et lui et j’ai réussi à l’apaiser, ou tout du moins à le distraire. Puis le regard de dame Amaterasu l’a fait disparaître.
- Pourquoi était-il là ? Que me voulait-il ?
- Je n’en sais rien, je n’ai pas eu le temps de vraiment communiquer avec lui. Ce genre de chose prend beaucoup de temps habituellement.
- Vous croyez qu’il va revenir ?
- Hélas oui Masato san. Ces apparitions ne sont pas dues au hasard. Elles sont souvent liées à un lieu, une personne, parfois même à un objet. Mais il y a beaucoup plus grave…
- Quoi donc sensei ?
- Vous lui avez parlé, vous l’avez regardé. Il est probable que maintenant ce spectre continue à vous poursuivre.
- Vous allez m’en débarrasser n’est-ce pas ?
- Disons que je vais faire tout mon possible pour cela. La première chose à faire est de ne jamais sortir quand le soleil est couché, la seconde est de partir loin dès que vous serez remis. Une fois là bas, si l’apparition vous poursuit, il faudra exécuter un rituel particulier que je vais vous expliquer.
- Je m’en remets entièrement à vous sensei.
- Bien, restaurez vous un peu et parlons un peu histoire pour vous distraire.»
Se redressant sur son lit, Masato bu d’un coup sa tasse de sake et entrepris de manger un peu de riz.
« Masato san…
- Oui sensei ?
- Qu’avez-vous dit à l’apparition ?
- Oh pas grand-chose il me semble. Elle m’a salué en tant qu’Ikoma et j’ai répondu poliment ne sachant pas qui elle était. Puis elle m’a dit qu’elle cherchait son frère. Je lui ai demandé si elle habitait ici et elle a semblé hésiter puis elle m’a répondu non. Je lui ai demandé d’où elle venait, et elle a simplement répondu qu’elle venait de chez elle. Puis je vous ai entendu.
- Vous avez remarqué quoique ce soit de particulier dans cette apparition ? En dehors de son coté fantastique je veux dire…
- Non, je ne l’ai pas reconnue. Elle… si attendez, elle avez des petites zones noircies, comme brûlées sur son kimono. Et elle avait des yeux… je ne saurait même pas les décrire. Ils me brûlaient, il fallait que je les évite.
- Merci, je ne vais pas vous rappeler ces mauvais moments plus longtemps. Je suis vraiment désolé de ce qui s’est produit. Mon honneur…
- Ne vous accablez pas sensei… qui peut imaginer ce qui se serait passé si vous n’aviez pas été là ? Je sais bien, que ce genre de chose ne s’est jamais produit avant dans votre honorable demeure.
- Bien, parlons d’autre chose… Que diriez vous d’un bon bain et d’un peu de musique ? »

Hélas, malgré tous leurs efforts pour oublier les évènements de l’aube, aucun des deux samurais ne parvint réellement à se concentrer sur leur travail. En désespoir de cause, Ikoma Masato décida de rentrer à Kyuden Ikoma pour apporter leurs conclusions de la veille et se renseigner sur les avancées qui avaient été faites pendant son absence. Resté seul, Norikage arpenta longuement son grand jardin comme la veille, mais il sentait que quelque chose s’était brisée dans l’harmonie du lieu. Il avait maintenant du mal à méditer dans cet endroit pourtant si propice. Soudain, il pris une décision. Il rassembla ses pinceaux, un parchemin et sa tablette à dessins et se rendit dans la cabane dédiée à la cérémonie du thé. Là, avec une économie du mouvement et une lenteur digne de l’art de servir le thé, il dessina un simple mot sur un rouleau de parchemin qu’il accrocha au mur : «Question». Puis il sorti calmement et alla cueillir quelques fleurs patiemment choisies, dont il fit un bouquet simple, beau, mais étrange car inhabituel. Ceci fait, il pris le thé, seul, mais selon la plus parfaite coutume. Se sentant enfin en paix, il rangea calmement le matériel mais laissa le bouquet et l’inscription sur le mur. Une fois le soleil couché, Norikage mit un kimono de cérémonie, sa coiffe de lion et son masque puis s’assit devant un petit feu à même le sol dans le pavillon du thé et attendit. Mais la nuit passa, claire, sans incident et le vieux Kitsu rentra chez lui au petit matin très étonné. Il alla se baigner et s’allonger pour prendre un peu de repos. Cependant il ne trouva qu’un sommeil agité dans lequel il entendait encore cette berceuse et voyait encore ce regard. Cette chanson si ancienne qu’il connaissait si bien. Cette incantation aux ancêtres pour protéger l’enfant pendant son sommeil. Ce regard si profond que Masato n’avait pu soutenir mais que lui connaissait bien. Ces yeux couleur du ciel qui voient les ancêtres. Quelque chose de terrible avait du se produire quelque part, mais quoi ? Dès qu’il fut réveillé, Kitsu Norikage envoya des messagers demander des nouvelles de sa famille. Particulièrement de son unique petite fille. Les Kitsu ont si peu d’enfant…