CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
La Muraille fendait les vagues hautes, qui allaient ensuite déferler sur les côtes de Rokugan. Le solide navire ne craignait pas le gros temps. A la barre, Hiruma Yojiro surveillait l’horizon, de plus en plus noir.
- Heureusement, dit-il à Shiba Mitsurugi, les îles sous le vent ne sont guère loin. Nous n’aurons pas à affronter la très haute mer.
A bord se trouvaient également Isawa Sasuke et Togashi Maya, sans compter les rameurs et les hommes de peine de la Cité de la Forêt des Ombres, encadrés par quelques soldats.
Deux jours avant, le Gouverneur avait réuni les dignitaires de la Cité dans son palais, pour organiser cette nouvelle traversée. C’était une petite semaine après la fuite des derniers yobanjin.
- Ton bateau est réparé, avait-il dit à Hiruma Yojiro. Et je souhaite donc que tu poursuives la mission pour laquelle ton clan t’a envoyé.
- Ce sera un honneur pour moi.
- Tu vas donc pouvoir prendre le large dès demain. Puisque je t’avais envoyé dans les îles sous le vent chercher du bois pour nos fortifications, je t’y renvois à présent, avec un plus grand équipage. Tu me disais que le bois que l’on trouve là-bas est d’excellente qualité, parfaitement robuste ?
- Oui, seigneur.
- Bien alors tu iras là-bas, en faire abattre autant qu’il pourra en rentrer dans les cales de ton navire et une fois ici, tu dirigeras les opérations de fortifications de nos murailles.
- J’en serai honoré.
- Tu n’iras pas seul.
Le Gouverneur avait agité son éventail. Il faisait encore chaud à cette saison de l’année.
- Togashi Maya, toi qui es descendue des montagnes pour voir le monde, quelle meilleure occasion qu’un séjour en mer pour apprendre ?
- Oui, seigneur.
- Tu te joindras donc à l’expédition. Et toi, Isawa Sasuke ? Puisque ton dojo me fait l’honneur de t’envoyer ici, pourquoi n’accompagnerais-tu pas l’expédition ? Sait-on jamais, ajouta le daimyo, si jamais vous croisiez encore un navire yobanjin…
- Il subirait, dit le shugenja, le même sort que l’autre.
- Bien.
Il y avait encore dans la pièce les deux gunso, Shiba Mitsurugi et Shiba Satoru. Le daimyo hésita. Les deux hommes, à sa connaissance, se valaient. Contre les yobanjin, ils avaient fait preuve d’une bravoure comparable.
Les deux samuraï baissèrent la tête.
- Il me faut un bushi pour accompagner l’expédition, dit le Gouverneur. Shiba Satoru ?
Celui-ci releva la tête.
- Puisque tu es le chef de la garde de la Cité, j’ai besoin que tu restes ici. Donc, c’est toi, Shiba Mitsurugi qui partiras.
- Bien, seigneur.
- Je suis certain que mon ami le Gouverneur de la Cité de l’Or Bleu n’y verra pas d’inconvénient.
- Non, il sera honoré que j’accompagne cette expédition.
- Bien, samuraï, alors faites vos bagages !
Tout en repensant à cette scène, Shiba Mitsurugi observait l’océan gris qui dansait.
Les vagues continuèrent à grossir pendant la journée, tandis que la pluie battait continuellement le navire. Enfin, alors que le soir tombait et dévorait la grisaille de la journée, on aperçut les îles.
De grands palmiers se balançaient dans le vent ; dans le dos des samuraï, les nuages refluaient vers le couchant.
Hiruma Yojiro fit mettre les barques à la mer, tandis que des hommes à bord allaient manœuvrer lentement le navire, pour l’approcher de la côte en évitant les récifs.
- Il faudra l’approcher au mieux, dit le Crabe, car nous aurons à y transporter les troncs. Mais veillez à toute déchirure sur la coque. Comme nous serons chargés à plein au retour, toute entaille serait désastreuse.
- A tes ordres, seigneur Crabe !
La nuit était bel et bien tombée quand les samuraï mirent le pied sur le sable fin. Un peu plus haut se dressaient des cabanes.
- Nous pourrons loger là-dedans, dit Yojiro, il y a de quoi faire du feu et dormir.
- Cela ira très bien, dit Sasuke.
Les samuraï s’installèrent dans ces bicoques qui grinçaient dans le vent. Enivrés et épuisés par l’air du grand large, ils ne tardèrent pas à s’endormir, sans que les réveillent les bourrasques violentes qui déferlèrent ce soir-là.
Le lendemain, les vents puissants avaient chassé les nuages, comme s’il les avait lavés à grandes eaux. Le soleil radieux rendait la mer et le ciel éblouissant, la végétation de l’île scintillait comme une émeraude et le sable comme de l’or.
- Magnifique, dit Yojiro en inspectant l’île, pendant que les hommes se mettaient au travail. Ces essences de bois servent dans nos villages fortifiés. Nous en recevons de la part du clan de la Mante, et cela contribue aux bonnes relations entre mon clan et celui-ci.
- Il y en aura assez pour la Cité ? demanda Mitsurugi.
- Oui, largement assez.
- Et combien de temps faudra-t-il pour abattre ces arbres ?
- Ma foi, si les hommes travaillent bien, nous pourrons avoir terminé demain soir.
D’ici là, les samuraï n’auraient qu’à profiter du beau temps !
En fin de mâtinée, avant les grosses chaleurs, ils laissèrent les hommes à leur abattage, suant torse nu en buvant de la bière, et ils montèrent vers les hauteurs de l’île.
Ils s’enfoncèrent dans la forêt humide où bruissaient feuillages, oiseaux, sources… C’était un étrange monde, composé à la limite seulement de lumières, bleus, vertes, et aussi rouges, avec ces volatiles dans les arbres, aussi colorés que des arc-en-ciel.
Après une heure de marche, ils ressortirent de la forêt au sommet d’une petite colline, d’où l’on dominait toute l’île.
- Impressionnant, dit Yojiro, non ? en allumant une lourde pipe Crabe.
Au loin, on apercevait les côtes de Rokugan, nimbées d’une poussière dorée, et de grandes lignes d’écume mouvant à la surface des flots. Sur la plage, l’abattage continuait ; on entendait le craquement des arbres et leur chute, et les cris des hommes.
Les samuraï prirent leur temps pour redescendre, fascinés à nouveau par ces images inconnues, d’oiseau presque irréels, perchés dans leurs arbres épais, tortueux.
- Nous vous avons ramené du poisson, seigneurs, dit l’un des marins.
- Excellent, qu’on le fasse griller !
Les samuraï profitèrent de ce repas en l’accompagnant de riz épicé. Le soleil avait dépassé son zénith et descendait doucement vers Rokugan.
Une fois le repas fini, les samuraï s’accordèrent une délicieuse sieste à l’ombre des cabanes, pendant que les arbres continuaient de s’abattre dehors.
En se réveillant, Yojiro, toujours aussi content, s’alluma une autre pipe.
- Nous pourrions aller visiter l’île d’à côté, proposa-t-il.
- Pourquoi pas ? dit Shiba Mitsurugi.
On fit mettre une barque à la mer. Isawa Sasuke, en sa qualité de shugenja, et Togashi Maya, invitée du clan du Phénix, furent dispensés de ramer : c’est Yojiro qui s’y mit, jouant de sa musculature robuste, aguerrie sur le Mur, pour faire avancer la barque.
Il n’y avait pas loin de cette île-ci à sa voisine.
- La dernière fois que nous sommes venus, nous n’avons pas eu le temps de visiter cette île.
Mitsurugi fixait le rivage en face ; on devinait l’amorce d’une crique, à l’ombre des grands feuillages.
- Etrange, dit soudain le bushi.
- Qui y a-t-il, demanda Sasuke.
- J’ai cru voir une barque disparaître derrière ces rochers.
- Une barque, demanda Yojiro, mais il n’y a personne d’autre que nous ici…
- J’en jurerais… Regardez, ce sillage d’écume là-bas, semblable au nôtre.
Le Crabe se retourna : on voyait en effet une trace s’effacer sur la mer.
- Cela vaut que nous allions vérifier, dit Sasuke.
- De toute façon, nous allions là-bas, dit le Crabe.
Yojiro souqua ferme et l’on atteignit le rivage en un rien de temps. La barque fut hissée sur la plage.
- Aucune trace d’autres habitants, dit le Crabe.
- Je suis sûr d’avoir vu une barque, juste au moment où elle disparaissait.
- Il pourrait y avoir des yobanjin ici ? demanda Sasuke.
- Je ne crois pas, dit Yojiro. A ma connaissance, ces barbares vivent dans les terres, tout au nord. Pas en mer ; mais qui sait ?
L’île était sensiblement plus petite que l’autre.
- Montons au point culminant, proposa Sasuke. Nous verrons bien s’il y a des habitations par ici.
Nos samuraï, après cette journée déjà bien sportive, commençaient à fatiguer. Ils traversèrent une végétation aussi épaisse, parfois si épaisse d’entre deux arbres deux hommes n’auraient pu passer. Ils se hissèrent sur un grand pierrier, au pied d’une petite montagne impossible à escalader.
- Pas de construction visible, dit Mitsurugi. Pas de feu. Pourtant, je suis certain de ne pas m’être trompé.
- S’il n’y avait qu’une barque, dit Sasuke, ses occupants ont facilement pu se cacher dans la forêt qui couvre l’île. Et il y a plusieurs bonnes caches naturelles, par exemple ces criques tout le long de la côte.
- C’est vrai, dit Mitsurugi. C’est là qu’il faudrait aller chercher.
- Il y a trois criques au moins, dit Maya.
- Séparons-nous en deux, dit Sasuke. Que chaque groupe aille explorer une des criques. Et retrouvons-nous dans celle du centre.
- Entendu.
Shiba Mitsurugi partit avec Togashi Maya, tandis qu’Isawa Sasuke partit avec Hiruma Yojiro.
C’était le devoir de Mitsurugi de protéger Maya, mais, par Shiba, que c’était pénible ! Depuis qu’elle avait grossièrement repoussé ses avances, il sentait qu’il la détestait ! Et maintenant, c’était à lui de rester avec elle. Si elle avait un peu plus réceptive à son charme naturel de beau mâle Phénix, cette sympathique excursion dans les bois, seuls, aurait pu devenir bien plus agréable. Au lieu de cela, c’était une corvée ! Maudite soit cette étrange race de moines tatouées venu des montagnes ! Là-bas, les plus belles filles de la terre devaient être plus froides qu’un glaçon !
Mitsurugi s’efforçait donc d’imaginer que la Togashi était vilaine comme une femelle yobanjin. Il aurait bien voulu d’ailleurs qu’elle devienne velue comme une bête, pour lui apprendre à l’avoir rejeté si rudement !
Le Phénix ne songeait guère qu’à ses malheurs et plus tellement aux possibles autres occupants de l’île. Pourtant, en arrivant dans la crique, il fut ramené à la réalité. Ils découvrirent une grotte dans laquelle la mer avait formé un bassin. Et au fond de cette grotte, où le jour pénétrait largement se trouvaient entassés plusieurs grosses caisses en bois. Devant cet empilement, dans l’eau, on avait amarré une barqué.
Mitsurugi et Maya s’approchèrent prudemment. Il n’y avait personne.
- Il faut ouvrir ces caisses, déclara l’Ize-Zumi.
- Si vous voulez…
La Togashi se concentra : campée face à la caisse, elle tendit tous ses muscles, laissant sa respiration vitale, le chi, irriguer tous son corps et soudain elle frappa le haut de la caisse du tranchant de sa main. Le bois craqua.
Mitsurugi aurait juré qu’elle s’était quand même fait mal : bien fait pour elle !
Par curiosité, il observa avec elle : c’était plein de paille.
Maya plongea les mains dedans et commença à l’enlever, à pleines mains.
- Quel monstre de finesse, pensa le bushi.
Sous la paille se trouvaient entassées de gros sacs.
Maya en sortit un et l’ouvrit. Il était plein de poudre noir qui se répandit à terre.
- Ce n’est que de la poussière, dit Mitsurugi.
La Togashi se penchait pour examiner cette matière. Elle n’avait jamais rien vu de tel.
Elle abandonna ses recherches.
- Qui peut bien vouloir entasser de la poudre noire ici, dit Mitsurugi.
- Je ne sais pas, mais c’est étrange…
Le Phénix haussa les épaules et proposa de partir vers la crique où ils avaient rendez-vous avec l’autre groupe.
Yojiro et Sasuke étaient descendus par l’autre versant de la montagne. Leur marche fut silencieuse. Il était difficile de réunir deux samuraï aussi différents l’un de l’autre : un jeune et ardent shugenja de la noble école Isawa, et un robuste ingénieur élevé dans les combats incessants sur le Mur.
Ils arrivaient en vue de la plage quand un craquement se produisit à côté d’eux. Ils eurent juste le temps de se jeter sur le côté, avant d’être pris dans les rets d’un filet qu’on venait de leur jeter !
Sasuke se releva et, invoquant en un clin d’œil les kamis du Feu, il forma dans sa main un magnifique katana en feu ! Dans le même temps, Yojiro dégaina l’antique sabre Kaiu légué par ses Ancêtres, lame incassable qui tranchait les plus solides démons !
Les deux hommes se relevèrent, au moment où leurs agresseurs leur sautaient dessus. Les coups volèrent bas, et le sang éclaboussa la forêt. Lorsque les deux hommes purent respirer, ils observèrent les corps devant eux : c’était des humains, des Rokugani. Pas des démons ni des yobanjin. Ils étaient vêtus de grossiers habits de toile et se battaient avec de longs couteaux de truands.
Sasuke laissa son arme disparaître et Yojiro rangea la sienne.
- Cela ne me dit rien qui vaille, dit le Crabe. Si nous avions dérangé des esprits de ces îles, je comprendrais mieux… Mais des hommes, c’est bien la chose la plus surprenante…
Il ne finit pas sa phrase.
- Hâtons-nous, dit Sasuke, de rejoindre la plage, et de retrouver nos amis.
Si les deux tueurs avaient des complices, ils avaient maintenant disparu dans les taillis. Sasuke et Yojiro arrivèrent sur la plage, tandis que le soleil se couchait sur la mer, lui donnant son incomparable teinte écarlate.
- Si nous ne nous dépêchons pas, nous allons devoir passer la nuit sur cette île, dit Sasuke, que l’idée n’enchantait guère.
Les deux samuraï longèrent la plage, prenant le chemin le plus simple et le plus long jusqu’à la crique où ils avaient rendez-vous. Elle était toute rougie par le crépuscule lorsqu’ils y arrivèrent, après avoir contourné un pan de falaise ; les animaux se mettaient à crisser alors que le jour disparaissait et la chaleur de la journée s’envolait peu à peu, abandonnant la luxuriante forêt pour s’évanouir dans le ciel violet. Par l’autre bout de la crique arrivaient Mitsurugi et Maya.
Les deux groupes se retrouvèrent sur la plage.
- Nous avons trouvé quelques caisses, remplies d’une poudre que nous n’avons pu identifier, dit le Phénix.
- Et nous, nous avons été attaqués sur le chemin. Par des bandits.
Yojiro cracha par terre.
- C’est grave cela, dit Mitsurugi, très grave… On a voulu vous faire disparaître… On a voulu s’en prendre à des samuraï.
- Qu’est-ce qui peut se cacher sur cette île, demanda Yojiro, pour qu’on ose nous attaquer ?
- Je l’ignore, mais tout est possible, dit Sasuke.
Pendant que les hommes faisaient le point, Maya découvrit, sous des branchages, une grande barque, à moitié ensablée. Elle était juste à l’entrée d’un petit canal qui perçait la plage et entrait dans la forêt.
- Nous n’avons plus le temps de retourner sur l’autre île avant la nuit, dit Mitsurugi.
- Nous pouvons tenter de trouver un abri, ici-même, dit Sasuke.
- Nous n’avons pas le choix, dit Yojiro. S’il le faut, je saurai monter un abri d’un soir.
- Si cette barque est ici, dit Mitsurugi, c’est qu’elle a été utilisée pour ressortir par ce canal. Remontons cette piste.
Les samuraï aidèrent Maya à déterrer la barque et à la mettre à l’eau. Mitsurugi et Yojiro prirent chacun une rame, tournés cette fois dans le sens de la marche, et les samuraï pénétrèrent dans la forêt.
Le canal d’eau venu de la plage mena à l’entrée d’un petit labyrinthe aquatique ; les canaux découpaient des îlots gras et humides, envahis de hautes herbes, sur lesquels poussaient des arbres tortueux. Il n’y avait presque plus de terre ferme, dans ces marécages d’eau épaisse et de terrains bourbeux. Les lentilles d’eau envahissaient les canaux, de même que les épaves de branches. Des nuages de moustiques vibraient dans l’air, juste à hauteur des rives. Outre les crissements d’insectes, on entendait en permanence le clapotis de l’eau et les coups de rames donnés en cadence par les deux hommes.
- Là-bas, une cabane...
C’était Sasuke qui l’avait aperçue. Elle se trouvait sur un grand îlot qui paraissait plus ferme que les autres, à l’ombre d’un palmier plié en deux par les intempéries. Les samuraï accostèrent et Yojiro attacha la barque. On pataugeait sur le sol boueux et la cabane menaçait ruine. Mais à l’intérieur, il y avait des pierres à feu et du bois, conservé au sec dans un coffre.
- On est donc venu ici il y a peu de temps, dit Maya.
L’endroit était juste assez grand pour abriter les quatre voyageurs égarés.
- Allons, il faudra nous en contenter, dit Sasuke.
- Je pense que l’équipage ne viendra pas nous chercher avant demain, dit Mitsurugi. Ils doivent continuer d’abattre les arbres et nous n’avons pas donné d’autres ordres avant de partir.
- C’est juste, dit Yojiro, reposons-nous et demain nous aviserons.
C’est Maya qui prit le premier tour de garde, pendant l’heure de Shinjo, puis elle réveilla Yojiro pour Hida, qui passa le relais à Sasuke pour Togashi ; enfin, Mitusurugi prit la dernière veille, à l’heure du 9e Kami.
Le samuraï s’assoupissait doucement, bercé par l’incessant mouvement de l’eau qu’il devinait près de lui, la liquidité des sons du marais et le chant des oiseaux de nuit.
Il entendit soudain un craquement, ce qui l’éveilla parfaitement, alors qu’il faisait encore grand noir. La main sur le katana, il scruta la rive et la rive opposée. Il aurait juré avoir vu bouger de l’autre côté, sur l’îlot d’en face.
Il entra dans la cabane et réveilla Sasuke et Yojiro.
- Debout, nous avons de la visite.
On éveilla poliment Maya (Mitsurugi ne voulait même plus la toucher !

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Les samuraï se disposèrent autour de leur bâtisse, et observèrent, accroupis, prêts à l’attaque. Ils tournaient lentement ; Maya allait disparaître à un coin et Sasuke prendre sa place, quand il vit une silhouette noire, derrière elle, se dresser hors de l’eau lentement, dégouttante, brandissant un poignard. Effrayé, Sasuke en fit aussitôt appel aux esprits du Feu, et propulsa sur l’assassin une boule crépitante, qui l’embrasa aussitôt. Sans un cri, la silhouette retomba dans l’eau, mais dans une grosse et bruyante éclaboussure. Les autres samuraï se précipitèrent : Maya l’avait échappé de peu !
On entendait encore du monde, sur l’autre rive.
- Il faut sortir de ces marécages et vite, dit Yojiro. Nous sommes trop vulnérables !
Les samuraï retournèrent à la barque, mais une mauvaise surprise, quoique qu’assez prévisible, les attendait : les tueurs nocturnes s’étaient chargés d’y percer un trou et maintenant, elle s’enfonçait lentement dans l’eau. Il était impossible de la réparer sans matériel.
- Misère, gémit Yojiro. Nous allons devoir traverser tout à pied pour revenir sur la plage !
On entrait dans l’heure du dernier Kami, et ce n’est qu’au lever du soleil que nos héros atteignirent la crique. Entre temps, ils avaient dû marcher d’un ilôt sur l’autre, en jetant à chaque fois des planches par-dessus les canaux, car il aurait été trop dangereux de les traverser à la nage.
Il était temps que dame Amaterasu surgisse de derrière les abîmes de l’horizon, pour réchauffer le monde, car nos héros étaient transis. Ils s’assirent sur le sable, fatigués par cette marche pesante. Les arbres frissonnaient dans le jour naissant, dans le vent qui venait des confins du grand océan.
- Nous connaissons deux autres barques sur cette île, dit Sasuke. D’abord, la nôtre, sur la plage de l’autre côté de l’île ; ensuite, celle de ces bandits, dans la caverne visitée par Mitsurugi et Maya.
- La caverne est plus proche, dit Maya.
- Allons-y, dit Mitsurugi, car il devient urgent de revenir auprès de nos hommes. Il ne faut pas laisser ces tueurs s’échapper.
Les saumuraï partirent par la pente d’herbe, au pied des falaises, pour éviter une marche fatigante dans le sable. Silencieusement, le soleil montait dans le ciel, et blanchissait peu à peu les falaises. Nos héros mirent la main sur le saya lorsqu’ils arrivèrent près de la grotte. Ils entrèrent ensemble. Les caisses étaient encore là, ainsi que la barque.
- Parfait, ne traînons pas, dit Sasuke.
Mitsurugi et Yojiro se mirent encore aux rames et les samuraï ressortirent en plein jour. Il fallait maintenant faire le tour du quart de l’île, au moins, puis repasser sur l’autre île. Indifférents à la fatigue, le Crabe et le Phénix ramèrent avec vigueur, la barque poussée par la brise marine. Venus du grand ouest, de grands nuages blancs n’en finissaient plus de s’étirer paresseusement dans le ciel.
- Allons, hardi ! se répétait Yojiro, qui avait des crampes partout.
On traversa l’étendue d’eau qui séparait les deux îles, et le spectacle qui s’offrit alors fut tragique. Sur la plage, étendus près des troncs de bois abattus, se trouvaient les marins. Les cabanes avaient été brûlées. Les quelques samuraï de rang qui encadraient les travailleurs avaient disparu. Pire que tout, le feu avait pris à l’avant du navire de Yojiro ! La proue de la
Muraille flambait !
- Zakennayo, s’écria le Crabe, effrayé et meurtri comme si on assassinait sa famille sous ses yeux !
- Au navire, en vitesse, cria Mitsurugi, sans lui nous ne pourrons repartir !
Et même si on pouvait compter, au bout de quelques jours, sur l’aide de la Cité de la Forêt des Ombres, il ne faisait plus bon languir sur ces îles.
Hors de lui, Yojiro rama avec une ardeur folle, tandis que les flammes se répandaient sur son navire. La barque tapa contre la coque du navire et le Crabe, furieux, monta à l’échelle comme un possédé. Insouciant de savoir s’il y avait des ennemis à bord ou des blessés, il s’empara d’un seau, le remplit d’une flaque et s’attaqua au feu. Les autres samuraï arrivaient à bord et en faisaient le tour rapidement. Personne.
On organisa alors la chaîne. Ce ne fut pas simple. Depuis la barque, Mitsurugui prenait de l’eau avec un seau, le passait à Maya qui le hissait avec une corde, tandis que Yojiro jetait l’eau ; de son côté, Sasuke invoquait les esprits du feu pour repousser l’incendie. Peu à peu, les flammes perdirent en vigueur. Epuisé, les larmes aux yeux, Yojiro se laissa tomber sur le pont.
- Reste ici pour veiller sur le navire, proposa Mitsurugi. Nous, nous allons sur l’île chercher les survivants.
- Entendu, dit le Crabe.
Il était de toute façon essentiel que quelqu’un restât à bord pour garder le navire.
Les deux samuraï et l’Ize-Zumi arrivèrent sur la plage. On avait tué les hommes avec des flèches. Cela supposait des ennemis embusqués, tuant leurs cibles à couvert ; ce qui était bien la manière la plus déshonorable de se battre qui soit !
Il n’y avait pas le compte de travailleurs. Les autres s’étaient-ils enfui dans l’île ? Et où étaient passés les soldats ? De même, il y avait à bord de la
Muraille, quand nos héros étaient partis, deux hommes ; eux aussi avaient disparu.
Mitsurugi observa le navire : le feu était définitivement circonscrit : les dégâts n’étaient pas trop importants. Le bas de certaines voiles était noirci, mais l’humidité de cette région avait empêché le navire de s’embraser comme une torche.
- Allons, il faut partir, dit Sasuke.
Mitsurugi cracha par terre.
- Il faut au moins ensabler les corps de ces malheureux.
C’était tout de même des travailleurs de son clan. On n’allait pas les laisser moisir en plein soleil. Les samuraï prirent une pelle et recouvrir les corps de sable. C’était bien le moins, à défaut de prendre le temps de les brûler.
Les samuraï rejoignirent le navire. Alors qu’ils approchaient, ils virent Yojiro leur hurler de se dépêcher. Craignant un danger, Mitsurugi et Sasuke ramèrent de plus belle et grimpèrent en vitesse à bord, aidés par le Crabe qui les accueillit avec sa poigne ferme.
- Par Hida, je viens d’apercevoir un navire, qui passait de l’autre côté de l’île d’à côté !
- Quoi, tu es sûr ?
- Certain ! Et ce n’était pas un navire yobanjin ! Il était de construction rokugani mais n’avait aucune marque de clan !
- Alors des pirates !
- Des pirates assez fous pour s’attaquer à des samuraï au lieu de prendre la poudre d’escampette, rugit le Crabe. Il faut les attraper !
- Tu penses pouvoir les rattraper avec ton navire ? dit Mitsurugi, sans équipage ?
- Il y a vous au moins, dit le Crabe. Je ne vaux sans doute pas un capitaine du clan de la Mante, mais je sais tenir la barre. Si vous suivez mes instructions, nous pouvons nous lancer sur leurs traces !
- Mais ce bateau n’est pas fait pour la haute mer, si ?
- Non, mais le bateau de ces pirates non plus. Donc nous ne devrions pas trop nous éloigner des côtes.
- Qu’en pensez-vous ? demanda Mitsurugi.
Maya et Sasuke firent signe qu’ils étaient d’accord.
- Excellent, dit Yojiro, alors hissez les voiles, moussaillons !
A suivre...