16-01-2008, 12:12 AM
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Nos héros trouvèrent à bord du navire des provisions en quantité suffisante pour une longue traversée. Les pillards n’avaient pas pris le temps de détruire les réserves ; c’était heureux, mais l’assurance d’avoir le ventre plein ne cachait pas une autre difficulté : on n’était que quatre à bord pour manœuvrer le navire. Et nos samuraï n’avaient jamais pensé devoir manœuvrer un navire !
Outre qu’il fallut tout apprendre sur le tas, il n’était pas question de dormir, ou presque pas. Le navire pirate mettait le cap plein sud. On naviguerait au large des côtes, en suivant à peu près leur tracé. Yojiro disposait de quelques cartes :
Nous allons passer au niveau des terres impériales, dit le Crabe, après une journée de navigation, et si nous continuons ainsi, nous irons dans les eaux des terres de la Grue. Et ensuite, les Fortunes seules savent où !
Le lendemain, le vent tomba complètement ; c’en devint désespérant car la Muraille n’avançait presque plus. Tout ce temps, le navire ennemi restait en vue, très loin, toujours sur le fil de passer l’horizon, et lui non plus était presque figé sur les vagues. Il se mit à tomber une pluie incessante, monotone. L’océan était couleur d’acier, le ciel gris ; c’était une poursuite immobile. Les deux navires dérivaient sur l’eau, arrosés sans fin par les eaux maussades. Nulle terre en vue, rien que les étendues houleuses ; sur les vagues, quelques paquets d’algues et parfois de grands geysers d’eau, soufflés par des créatures monstrueuses évoluant dans ces parages.
Perchée en haut du mât, à la vigie, Maya n’apercevait que ce décor en plus grand. La pluie gouttait fort sur les planches de bois du navire et les voiles s’alourdissaient du ruissellement incessant. Plusieurs tonneaux de riz, attaqués par le moisi, durent être vidés à la mer. Des rats grignotaient dans les cales.
La Muraille allait-elle rejoindre, dans les légendes de la Mante, la longue suite de ces navires qui ne revinrent jamais ? Même pas, car nul ne savait où, à l’heure actuelle, se trouvait le navire avec nos héros !
Peut-être le Gouverneur de Morikage Toshi avait-il enfin envoyé une autre troupe sur l’île sous le vent ? Dans ce cas, ne croirait-on pas que nos héros avaient bel et bien disparu ? Comprendrait-on jamais le drame qui s’était déroulé là-bas, en trouvant les corps dans le sable ?
Après une journée interminable, le vent revint peu à peu, la pluie fut chassée vers la côte et le navire fut comme revigoré. Les voiles se tendirent et la proue perça de nouveau les vagues. Un timide soleil perçait les nuages.
Rien n’est perdu, disait le Crabe, nos ennemis sont toujours en vue !... Si par malheur, ils parvenaient à nous prendre de vitesse, nous pourrions revenir vers les terres et organiser une expédition pour les retrouver. Car ils n’iront pas loin sur leur coque de noix !
Mais Yojiro évitait soigneusement de mentionner les terribles tempêtes qui pouvaient se déchaîner en mer, et auxquels les marins de la Mante aussi bien que du Crabe avaient donné des noms, à la hauteur de leur violence. Entre autres, le Crabe craignait de voir déferler sur la Muraille le typhon Osano-Wo, du nom de la Fortune des bushis, énorme trombe chargée d’éclairs et qui avait déjà réduit des « tortues de fer » en misérables débris ; les monstres ne manquaient pas, sur l’océan. Les autres samuraï songeaient-ils que peut-être, jamais ils ne reverraient Rokugan ?
Ils s’étaient embarqués sur ce navire, croyant à une petite excursion plaisante, et voilà qu’ils étaient embarqués dans une croisière à l’issue incertaine. On évitait d’évoquer ce genre de malheurs, mais chacun devait y penser. A chaque décision prise de continuer, d’explorer les îles, de traquer ses habitants inconnus, ils avaient fait un pas en avant vers leur destin.
A la fin du troisième jour, alors qu’il semblait s’être déroulée une éternité depuis la dernière fois qu’on avait vu la terre, le navire ennemi changea son cap.
- Il vire en direction de l’est, dit Yojiro. Soit il est se sent prêt à affronter les horreurs au-delà des mers connues, pour nous échapper, mais alors il va à sa perte, et nous aussi si nous le suivons ; soit il y a une terre non loin d’ici.
- Il ne peut s’agir que de cela, dit Mitsurugi.
- Je veux le croire, dit Yojiro, mais nous sommes encore loin des archipels du clan de la Mante.
- Peut-être, mais il peut y avoir d’autres îles. Il y a quelques jours, j’ignorais encore qu’il y avait des terres au large du pays du Phénix, Yojiro-san.
- Il faut être insensé, dit le Crabe, pour quitter la terre de ses Ancêtres et chercher l’aventure sur ce pays d’eau, où il n’y a rien de bon à trouver.
Au milieu du quatrième jour, alors que nos héros avaient résolument suivi le navire, et redoutait avec effroi d’apercevoir, à tout instant, le bord du monde, les vagues se soulevèrent, retombèrent, et on aperçut enfin un bout de terre.
Un fort brouillard s’était levé. Le vent était à nouveau retombé. Des morceaux de troncs flottaient sur l’eau, des paquets d’algues encore. Le brouillard étouffait les sons ; on n’entendait plus, sous le ciel opaque, que le navire qui grinçait en permanence sur les flots huileux.
Le navire ennemi s’était transformé en une silhouette noire ; il approchait de la côte.
Yojiro fit descendre les voiles. La Muraille s’arrêta, au beau milieu de la nappe de brume épaisse. On se réunit dans la cabine :
- Voilà la situation, dit le Crabe. Nous savons que nos ennemis vont trouver refuge sur cette île. Nous ignorons combien ils sont là-bas. Nul ne sait où nous nous trouvons. Nous ne pouvons compter sur aucun secours. Si nous ne revenons pas, nos familles nous croiront disparus, emportés par quelque démon des mers.
Etait-ce si loin de la vérité ?
- Il faut y aller, dit Sasuke. Nous n’avons pas fait ce chemin pour rien. Des samuraï de l’invincible Empire d’Emeraude ne reculent pas devant quelques pillards. Où qu’il aille, un samuraï avance franchement, sans un pas en arrière.
- Je suis d’accord, dit Mitsurugi. Les assassins des hommes de notre clan doivent être punis.
- Je vous suivrai, dit Maya.
- Entendu, dit Yojiro. Alors mettons la barque à la mer.
- Nous ne pouvons tous y aller, dit Sasuke. Ce navire est notre seul moyen de repartir. Il faut qu’au moins l’un d’entre nous reste à bord.
- C’est juste, dit Mitsurugi.
- Ce sera donc moi, dit Yojiro. Je suis le seul à pouvoir manœuvrer ce navire, pour préparer le départ.
- C’est indispensable, dit Sasuke.
- Nous irons à terre, dit Mitsurugi, et tu te tiendras prêt pour quand nous reviendrons, avec ou sans nos compagnons, mais avec la tête de ces ordures, c’est certain !
- Alors hajime, samuraï !
Nos héros avalèrent un solide repas ; puis Mitsurugi et Sasuke attachèrent leurs armures, pendant que Maya récitait une prière aux Fortunes. Yojiro les aida à descendre dans la barque, qui semblait posée à même la brume.
Mitsurugi donna un premier coup de rame ; Yojiro alluma une pipe, et bientôt, le navire disparaissait dans le flou. Le Crabe entendit encore quelques coups de rame, puis plus rien. Il était seul sur la mer brumeuse.
A suivre...
